→ Vous avez une démarche pratique puis théorique, mais pourtant, c'est l'inverse du journalisme.
Je n'ai jamais pensé les choses de manière cloisonnée. Chaque chose est différente, mais tout ça appartient à des formes de tentatives pour s'intéresser au monde d'aujourd'hui, par différents biais.
→ Votre rapport au monde se fait par votre curiosité ?
Je dirais probablement par étonnement. Philosopher c'est s'étonner, se demander pourquoi c'est comme ça, trouver les choses étranges. Cela dépend de nos habitudes et de nos schémas mentaux.
→ Votre collaboration avec Le Monde et Le Point, la presse, n'est-ce pas superficiel par rapport à la philosophie ?
Non, car je crois au bon journalisme. Quand on entend du mal du journalisme, il faut en dire du bien, et inversement, quand on en entend du bien, il faut en dire du mal. Parce qu'il semble parfaitement possible dire clairement et précisément ce qui existe dans les livres et dans la vie. Mon travail de fiches de lecture a une fonction de transmission et de vulgarisation. La part des intellectuels est de transmettre et dire simplement les choses tout en étant le plus exact. Il faut expliquer. Et la fonction du journalisme comme intervention dans l'actualité non pas pour donner la vérité des choses mais pour mettre l'actualité en rapport avec des les idées et la philosophie pour voir différemment.
→ Comment voyez-vous l'évolution du journal depuis 1975 ?
Je ne sais pas, certes il y a eu une évolution. Le Monde est passé d'une sorte d'encyclopédie permanente à autre chose. Mais le lectorat aussi a changé, il a fallu s'adapter. Je n'ai pas de vision globale.
→ Avez vous le même bonheur de travailler au Monde qu'avant ?
J'ai toujours le même plaisir d'écrire.
→ Parlez nous de vos maîtres.
J'ai fait des rencontres importantes. Je peux évoquer George Dumézil. Il est devenu aussi un de mes amis. Il vivait dans une caverne de papier. C'était un homme à la science admirable, qui parlait plus de 20 langues, qui a résolu quelques énigmes archéologiques. Il lisait Marc Aurel avec un peur de souffrir de la mort. Levi Srauss est aussi un de mes mâitres, mais il ne fut pas un de mes amis. Il y a aussi Gilles Deleuze, Foucault, Jean-Toussaint Desanti...
Je ne veux pas écrire mes mémoires.
→ Quel sens donnez-vous au mot « maître » ?
Pour moi cela comprend un ménage d'admiration, d'amitié et de proximité. Je me sens par exemple très lié à Spinoza...
→ Comment en êtes-vous venus à la rencontre avec les philosophes et les barbares et hellénistes oubliés ?
Il y a des philosophes chez les Grecs, mais aussi chez les non-grecs, qualifiés de barbares. J'ai eu envie de remonter l'histoire de la philosophie. Et elle aurait commencé chez les barbares, notamment chez les Indiens. (voir Les Fugitifs de Lucien)
→ Que pouvez-vous nous dire sur la vulgarisation ?
Pour moi c'est le goût du partage, une fonction pédagogique et sociale.
→ Les choses et les mots ?
Prenez un objet, par exemple un stylo. Dites le nom « stylot » à haute voix une quarantaine de fois. Vous vous rendrez compte que le nom devient absurde...
Petites notes par rapport aux questions du public :
- je n'ai pas à prescrire de chemin à chacun
- pour moi la recherche permet de m'informer moi-même
- Mes objections par rapport au bouddhisme concernent par exemple l'idée de permanence. Tout ce qui est impermanent dans le bouddhisme est souffrance. Le bonheur éphémère est pour eux un malheur ou quelque chose qui se détruit lui-même. Ils ignorent la plénitude de l'instant.
Le site internet de Roger-Pol Droit : www.rpdroit.com
Enjoy ;)